A de
nombreuses reprises et pendant plusieurs jours, j'ai tenté de
rédiger des articles sur le déroulé de mon compagnonnage, les
lieux où je suis passé, les chantiers réalisés,… mais
l'expérience est tellement dense que je n'en vois pas le bout, et je
ne me sens pas l'énergie de revenir finement sur ces 5 mois
ultra-remplis.
J'ai
donc décidé de me recentrer sur une forme de retour plus condensé,
forcément très incomplet, mais reprenant ce qui me paraît
intéressant de partager ici.
Pour
avoir un aperçu plus concret du compagnonnage et vous faire une idée
"en images" de ce que j'ai pu y vivre, voici quelques
liens et galeries photos à consulter :
Notre chantier: à partir d'une parcelle nue dans des jardins partagés, créer un jardin pédagogique pratique et ergonomique, pour accueillir des enfants de 3 à 11 ans
- Groupe Action au Battement d'Ailes (2 semaines et demi) --> galerie photos
Nos chantiers: réaliser des bacs de culture sur des terrasses agricoles, et construire une structure en bois, avec des troncs de mélèzes, qui servira d'ombrière
Notre mission: réaménager l'entrée de la ferme pour en faire un lieu accueillant et qui exprime le projet et les activités de l'association, tout en améliorant l'outil de travail
J'avais
déjà postulé pour le compagnonnage de 2011, mais ma candidature
n'avait pas été retenue, ce qui avait été une des raisons qui
avaient motivé mon départ à vélo quelques mois plus tard, me
lançant ainsi dans une forme de compagnonnage autonome à ma sauce.
Je
pense, avec le recul, que cela a peut-être été mieux ainsi, car à
l'époque, j'étais encore très loin du monde des alternatives, et
l'écart aurait été probablement très grand, me mettant dans une
expérience particulièrement déroutante, que j'aurais peut-être eu
plus de mal à ressentir comme constructive.
Mais
j'avais tout de même gardé en moi l'envie de me frotter à cette formation que j'envisageais comme une expérience collective et
humaine particulièrement forte.
Ma
motivation première pour ce compagnonnage REPAS était de rencontrer
et m'immerger dans des structures alternatives visibles, inclues dans
la société, avec des contraintes économiques et de production,
mais arrivant à fonctionner autrement, selon les principes de la
coopération et de l'autogestion, en cohérence avec des valeurs
sociales, humanistes et écologiques. Et pourquoi pas rencontrer une
structure où j'aurais le goût de m'investir, ou des personnes avec
qui lancer un projet collectif.
Cette
année 2014, nous étions 23 (16 compagnonnes et 7 compagnons), âgés
de 22 à 37 ans, avec des profils, des origines, des parcours, des
formations, des milieux familiaux, très différents, mais réunis
par la motivation commune de vivre une expérience du faire-ensemble
très forte, porteuse de sens et de clés pour nos avenirs
respectifs.
Dans
tous le processus du compagnonnage, nous ne nous nous sommes jamais
choisis par affinités de personnes. Lors de la première période,
c'est un tirage au sort qui a déterminé les lieux où chacun était
envoyé, ainsi que la composition des groupe-action. En deuxième
période, c'est par affinité d'objectifs que notre groupe-action
s'est constitué.
Ce
principe de tirage au sort, et de se rassembler par affinité
d'objectifs, est une composante majeure car elle implique d'accepter
de se lancer dans une expérience particulièrement percutante du
vivre-ensemble et du faire-ensemble sans se choisir.
Très
souvent, dans nos vies habituelles, nous sommes nombreux à penser,
voire même à être convaincus, que nous sommes des êtres facile à
vivre, conciliants, et prédisposés à vivre de belles expériences
collectives.
A
travers ce compagnonnage, nous nous mettons dans une situation où,
avec des personnes que nous n'avons pas choisi, il va falloir tout à
la fois vivre ensemble et travailler ensemble, trouver des terrains
d'entente pour le quotidien (alimentation, tâches ménagères,
sorties, rythmes, budget), et pour le travail (processus décisionnel,
façons de faire, organisation, responsabilités, distribution des
tâches,…) avec une contrainte de temps et un objectif de
réalisation.
A
mes yeux, c'est une véritable défi, et cela implique beaucoup de
confrontations qui, si elles sont menées intelligemment, ouvertement
et avec bienveillance, ne peuvent que nous faire grandir.
Ce
parcours, très axé sur des expériences concrètes, le fameux "P"
de "pratiques" dans l'acronyme REPAS, est un support pour
révéler de nombreux questionnements que l'on a tenté d'explorer
autant individuellement que collectivement :
- Spécialisation /
polyvalence
- La répartition des
tâches entre hommes et femmes, qui soulève la question de "genre"
- La prise de pouvoir par
la compétence
- L’accompagnement
mutuel vers l'autonomie
- La
transmission de savoirs et compétences
- La
pédagogie
- Savoir
lâcher-prise sur l'objectif pour laisser plus de place à
l'apprentissage
- Quelle
place pour l'initiative personnelle dans un projet collectif
- Quel
décisions doivent se prendre collectivement ou individuellement
- Savoir
faire la distinction entre ses caprices (et apprendre à les lâcher)
et ses véritables besoins (et apprendre à les défendre)
- Savoir
reconnaître et accepter une meilleure idée que la sienne
- …
Cette
expérience de compagnonnage a été pour moi extrêmement
nourrissante. C'est un véritable catalyseur de remises en questions,
souvent inconfortable car très confrontant, mais tellement
enrichissant. Elle m'a apporté une meilleure connaissance de
moi-même et de mon fonctionnement au sein d'un groupe, une meilleure
connaissance de ce que ma personne peut apporter de bon dans un
fonctionnement collectif, une validation de mon désir de m'engager
dans un projet de travail collectif et coopératif, et de savoir que
ça existe, que ça fonctionne, et que ce n'est pas une utopie!
Mais
j'ai aussi observé que je pouvais parfois m'oublier et me diluer
dans le groupe, privilégiant parfois un peu trop l'intérêt
collectif par rapport à mes besoins personnels. C'est aussi une
expérience que j'ai parfois ressentie comme trop dense, trop
"presse-citron", de par le rythme du cursus et la pression
autour des questions "Qu'est ce que je viens chercher ?
Quels sont mes objectifs ? , etc…".
Je
suis aussi ressorti de ce compagnonnage avec une déception, celle de
ne pas me sentir beaucoup plus avancé sur mes envies, de ne pas
avoir de projet concret qui se soit révélé. Alors à moi
d'accepter que ce n'est pas encore maintenant que je vais me lancer
concrètement dans un projet, et me contenter de tout le bon que cela
m'a apporté.
Globalement,
et pour conclure : ce compagnonnage aide à mieux savoir trouver
sa place dans un groupe, comprendre les enjeux et les dynamiques de
fonctionnements collectifs, accepter les différences, comprendre les
comportements des autres, conjuguer les complémentarités plutôt
qu’opposer les différences, enrichir son sens critique des
questions de société, acquérir de nouveaux savoir-faire et
développer de nouveaux savoir-être.
Et
pour finir, une petite phrase bien connue, mais qui à travers le
compagnonnage, a pris pour moi une consistance bien supérieure :
"Seul,
on va plus vite ; ensemble, on va plus loin, et on peut
soulever des montagnes !"